Grossesse non désirée… en entreprise

La grossesse n’a pas encore trouvé sa place dans la sphère professionnelle. Une discrimination de plus à l’égard de celles qui travaillent, transformant en contraintes à gérer un des épisodes clé, porteur de joie, d’espoir et de renouveau, dans la vie des femmes et des sociétés ! La faute à qui ?

“Les filles sont brillantes. Les statistiques attestent qu’elles réussissent souvent mieux que les garçons dans leurs études. On les embauche. On les forme. On leur confie des dossiers importants. Puis elles tombent enceintes ! Cela nous désorganise et réduit dangereusement leurs chances de gravir les échelons…” Voilà en substance, la teneur du discours tenu par boss, big boss et DRH quand on les pousse dans leur retranchement relativement à un sujet épineux : la gestion des femmes en âge d’avoir des enfants. Dont acte : la grossesse est encore, au 21ème siècle, pour la majorité des entreprises, une réalité difficile à gérer et pour les femmes de carrière une source de stress et d’inquiétude. Et pourtant, elles sont de plus en plus nombreuses à ne guère interrompre leur carrière quand elles ont des enfants en bas âge. Et elles ont investi tous les secteurs. Force est de constater comme l’assure une imminente sociologue : là où s’arrête l’exclusion, démarre la discrimination.  

Dans la tête des employeurs, une femme est toujours potentiellement enceinte, avec des enfants en bas âge, eux-mêmes toujours potentiellement malades. On met des bâtons dans les roues des carrières féminines car ces dames auraient le tort d’enfanter. Le plafond de verre est une réalité implacable. Difficile à digérer. Car les arguments qui pouvaient, hier, légitimer ou excuser les inégalités professionnelles sont aujourd’hui caducs. Les faiseurs et/ou casseurs de carrière pouvaient arguer, il y a de cela quelques décennies, que les femmes n’avaient pas la même formation, la même trajectoire professionnelle que les hommes. Nombreuses étaient celles qui arrêtaient le boulot pour se consacrer aux enfants. Aujourd’hui, beaucoup de femmes carriéristes mettent en veilleuse leur vie privée pour réussir une belle carrière. Quand elles tombent enceintes, elles s’astreignent à garder le même rendement, se dépêchent d’accoucher et reviennent bosser comme si de rien n’était en laissant les nourrissons à la charge d’autres femmes (souvent leurs mères) puisque la société ne se bouge pas assez pour garantir des modes de garde d’enfants en bas âge.

Il n’en reste pas moins que les femmes sont moins payées que les hommes à compétences et rendements comparables, qu’elles ont des carrières professionnelles différentes et moins reluisantes que leurs homologues mâles, qu’elles connaissent un sous-emploi patent.

Le constat est là. Il est plutôt amer : la carrière des femmes évolue entre sol de plomb dont il est difficile de décoller et plafond de verre qu’il est ardu de percer selon la formule consacrée. Pourquoi ? Tout comme dans la sphère politique, la sphère professionnelle obéit au pouvoir masculin. Dans un univers masculin, les femmes sont toujours perçues comme des agents perturbateurs. Le masculin est identifié au genre humain, neutre, à la trajectoire linéaire, sans cycles problématiques. Le pire est que cette représentation trouve écho auprès de la gent féminine également.

Les femmes contre les femmes ?

De la part des hommes et des politiques qui trouvent cohérent de “ghéttoiser” le genre féminin, (51% de l’humanité), et de la part des mâles au pouvoir, on est habitué(e)s aux commentaires machos. Cependant, on est toujours estomaquée d’entendre le même discours dans la bouche des femmes installées :“Moi, j’ai bâti ma carrière en réagissant professionnellement comme un homme. Pas en vantant je ne sais quelles spécificités féminines”. Amal, quadra et haut cadre dans un ministère d’influence confie : “Quand à 39 ans, je suis tombée enceinte, j’ai eu beaucoup de mal à en informer le big boss. Je ne savais plus ce qui m’incommodait le plus : annoncer une grossesse toujours mal venue quand on est juchée au-dessus d’une machine gigantesque ou avouer être enceinte à quasiment 40 ans ?” Edifiant. Les femmes en voyant des consœurs arriver au sommet formulent des vœux de promotion, plus d’égards et de compréhension face aux épisodes grossesse(s). Vœu pieux. Et là aussi, le fait est universel. Celles qui arrivent, qui s’installent là-haut, tiennent souvent le discours suivant : “J’ai déjà eu du mal à me faire reconnaître. Si je fais monter des femmes, je risque d’être discréditée. Ma carrière et ma structure risquent d’en pâtir”. Tout se passe comme si, après avoir eu tant de mal à s’arracher du sol de plomb, les femmes s’attellent à faire oublier leur genre. Et le fait qu’elles soient susceptibles de tomber enceinte !

Qu’un phénomène aussi naturel et universel que celui de mettre au monde un enfant soit vécu comme une anomalie, voire une pathologie illustre bien la rigidité, la mauvaise foi (?) le conservatisme et le manque d’imagination flagrant de ceux qui tiennent les rênes des milieux de travail.

Place à la vie !

Une véritable volonté de bonne gestion de la sphère professionnelle fera prendre conscience à qui de droit qu’il est possible de faire place à la vie dans l’entreprise. Il suffirait de tenir compte de réalités fondamentales. Primo : le rythme d’évolution des carrières varie selon le sexe, l’âge, la culture, l’expérience et la personnalité. Reconnaître à chacun son unicité, y compris dans le milieu du travail, c’est enrichir l’entreprise aussi. Secundo : la réalité biologique de la maternité confronte très tôt les femmes au dilemme de l’équilibre vie professionnelle/ vie privée. Les hommes y font face plus tard, après quelques années de sacerdoce professionnel, au moment où ils commencent à se sentir seuls, fatigués, isolés. Tertio : la grossesse est une promesse de renouveau. Pour la femme, le couple, la famille… et l’entreprise ! Pour une salariée, la grossesse n’est pas une mise entre parenthèses, mais une occasion de vivre autre chose et d’acquérir des compétences inestimables qu’elle peut capitaliser en mille petits plus pour l’entreprise. Bien des mères de famille pourraient animer des séminaires sur la gestion de temps, la prise en compte des priorités, la résolution de conflits. En écoutant et en répondant aux besoins de femmes, on devient sensible aux femmes et aux hommes par ricochet. En facilitant la vie aux futures mamans, aux mamans, on s’achemine vers l’amélioration du sort de tous. 

Il est grand temps de changer

Le boulot engendre du stress. Travailler peut tuer. Les psy soignent de plus en plus de gens, hommes et femmes, malades de leur travail. Or, il n’y a aucune fatalité à ce que le modèle de réussite par excellence soit le modèle imposé par le pouvoir masculin. Celui du cadre stressé, utilisé, pressuré qui risque, une fois quinqua d’être jeté et remplacé. La souffrance des cadres, hommes et femmes, est aujourd’hui une réalité qui coûte cher aux entreprises. Un autre monde professionnel est possible. Une autre conception du travail plus respectueuse des cycles de la vie est à inventer. Il faut bien finir par admettre qu’il existe une vie en dehors du travail et que le respect de cette vie est un facteur de développement de la société et de l’entreprise. Il est grand temps d’admettre (enfin) qu’il existe plusieurs temps dans la vie d’un individu. Le temps de se former, le temps d’enfanter, le temps d’éduquer, le temps de produire. Qu’une articulation entre le temps de travail, les cycles biologiques sont indispensables. Les femmes peuvent être précurseurs de cette évolution,  de cette révolution au lieu de cloner le modèle masculin. C’est là un enjeu de civilisation, voire de survie si l’on veut éradiquer le chômage et perpétuer l’espèce !

Aux femmes de s’imposer !

En attendant la révolution, il est temps de clamer haut et fort : le meilleur moment pour avoir des enfants n’est pas la fin de l’année financière, mais lorsqu’on en ressent le désir. La maternité est une joie, en faire une pathologie est une aberration totale. Le monde du travail adule la bourse : si la bourse se permet des fluctuations, l’entreprise doit accepter celles des carrières féminines. Elle doit protéger la maternité.

Les femmes devraient vivre pleinement leurs grossesses et ce qui s’en suit. Pour toute expérience, il y a un prix à payer et des bénéfices à retirer. A elles de faire la promotion d’une maternité respectée et respectable au sein de l’entreprise. A elles aussi de militer pour un congé parental qui répond aux besoins de tous, femmes, enfants et compagnons. Personne ne mènera ce combat à leur place. 

Protection de la maternité : Que dit la loi ?

Droit de taire son état

L’employeur ne peut d’aucune manière chercher à savoir si la future embauchée est enceinte ou pas. Refuser un poste à une femme enceinte est considéré par la loi comme un acte discriminatoire.

-Droit d’exercer au même poste

Muter une femme enceinte, contre son gré, au motif de grossesse est illégal sauf si des impératifs médicaux légitiment la mutation. La nouvelle affectation ne doit entraîner aucune diminution de rémunération.

– Droit d’arrêter de travailler

La salariée enceinte a le droit de suspendre son contrat de travail sept semaines avant la date présumée de l’accouchement et sept semaines après la date de celui-ci. En cas de complications médicalement constatées, la durée de suspension sera prolongée sans toutefois excéder huit semaines avant la date présumée d’accouchement et 14 semaines après.

– Droit de bénéficier d’un congé parental

Après la période de suspension réglementaire, la salariée peut prolonger son congé de 90 jours, à condition d’en avertir l’employeur 15 jours avant l’expiration de la période de suspension. La salariée peut bénéficier d’un congé parental sans solde d’une durée d’une année après l’expiration du congé réglementaire de 90 jours à condition d’obtenir l’accord de l’employeur.

La loi garantit à la salariée, après le retour des congés, les droits et avantages acquis avant l’accouchement.

– Droit d’allaiter

A compter du jour de la naissance, et pour une durée d’une année, les mères qui allaitent leur enfant ont droit à une heure d’arrêt durant les heures de travail. Une entente entre employeur et salariée permettra de planifier les modalités d’exercer ce droit à l’allaitement. Les établissements qui emploient 50 femmes et plus, âgées de 16 ans et plus sont dans l’obligation d’aménager des lieux réservés à l’allaitement.

L’entreprise n’aime pas les femmes enceintes : Entretien avec Fouzia Zitouni, spécialiste du droit de travail.

La législation marocaine en matière de protection de la maternité satisfait-elle la mère doublée de juriste que vous êtes ?

Non, pas totalement. Les nouvelles dispositions introduites par la loi 65/99 formant le code du travail ont apporté un plus. Il n’en demeure pas moins que la Marocaine obtient moins que la Française alors que notre code s’inspire beaucoup du code français. Par exemple : la durée du congé prénatal et post natal a été augmentée en cas de naissance multiple en France, pas au Maroc. L’employeur français ne peut en aucun cas refuser un congé parental d’éducation sans solde d’une durée d’une année. Son homologue marocain le peut. Mais là n’est pas (tout) le problème. Quand le couple, la famille, la société s’exclament bientôt un bébé, quelle joie ! L’entreprise réplique : bientôt un bébé, quelle poisse ! Il est là, le problème. Et il est planétaire.

Qu'est-ce qui va de travers ? Que faut-il améliorer pour que les femmes ne soient plus tiraillées entre le désir d’enfanter et l’ambition de mener une belle carrière professionnelle ?

Pour que les femmes puissent concilier boulot et vie privée en adéquation avec leurs aspirations, il faut que le monde du travail, que l’entreprise réalise enfin que dans la vie d’une femme, il y a des périodes pour étudier, d’autres pour démarrer une carrière, des périodes ou il faut s’arrêter pour enfanter (sinon bonjour les problèmes de déclin démographique que des pays super développés affrontent aujourd’hui !), tout comme il y a pour l’entreprise des conjectures propices à l’expansion, d’autres favorables au recul et à la consolidation, des situations où il faut risquer, d’autres ou c’est plus stratégique de se protéger…

Des femmes contre la promotion d’autres femmes. Des femmes qui freineraient la promotion de la protection de la maternité, vous y croyez ?

Non, je ne jetterai pas la pierre aux femmes. Elles sont assez pénalisées comme ça (rires). Je dirai que les femmes, tout comme les hommes par ailleurs, subissent le rouleau compresseur de la productivité. Faire plus en moins de temps. Elles n’ont tout simplement pas le temps de s’arrêter pour soigner les maux des femmes carriéristes que les sociologues et psychologues du travail ont identifiés. J’en citerai deux, les plus répandus, les plus médiatisés : l’androgynie psychologique et le syndrome de l’escroquerie. Le premier réfère aux femmes installées qui vont jusqu’au déni plus ou moins conscient de leur genre : habillement au masculin, couleurs de costume de ministre : gris et bleu marine, coiffures neutres, etc. Certaines refusent la féminisation de leurs titres : madame le magistrat, madame le ministre, etc, elles y tiennent ! Le syndrome de l’escroquerie, lui,  frappe ces femmes arrivées au top de la hiérarchie et qui craignent chaque jour d’être démasquées ! Elles sont incapables d’accepter leur réussite, se pensent nulles et craignent qu’on le découvre ! Ces femmes souffrent, n’ont pas le temps de se soigner, s’échinent à percer le plafond de verre. On ne peut pas compter sur elles pour modifier les législations, ce n’est pas leur rôle. C’est à la société, aux politiques hypocrites qui claironnent haut et fort qu’ils croient à la famille comme valeur et ciment de la société de reconnaître à la maternité, aux femmes leur juste place ! C’est d’autant plus scandaleux, cette injustice faite à la maternité, que les statistiques, pays pauvres et riches confondus, stipulent depuis des décennies que l’activité féminine (en dehors de la sphère domestique) a véritablement explosé et que ce sont les mères de famille qui assurent l’essentiel de la croissance de la population active. 

Dans les méandres de la vie conjugale au Maroc, le consentement sexuel entre époux reste un sujet brûlant et souvent
Alors qu’aux États-Unis et en Europe, le féminisme 4.0, également connu sous le nom de cyberféminisme ou féminisme du hashtag,
Soumaya Mounsif Hajji est traductrice assermentée. À la veille de la réforme de la Moudawana, cette virulente militante dresse un
L’état des lieux des droits des femmes au Maroc révèle toujours des écarts flagrants entre les décisions politiques de la
31AA4644-E4CE-417B-B52E-B3424D3D8DF4